La mémoire, trace de l’effacement, travail en cours

Après avoir travaillé plusieurs années la nuit, j’ai petit à petit voulu travailler la lumière d’une autre manière. La nuit m’a permis d’ajouter un caractère énigmatique à mes mises en scène et de traiter des peurs et des angoisses liés à la problématique de la mémoire et de la mort.

Mais dans la mort il y a la disparition. La photographie, elle, est apparue et la fixation; la mort est la perte. Mais dans la disparition il y a aussi à voir apparaître.
L’image nous place entre ce couple. Ce que je vois disparaître peut aussi me laisser penser que cela m’apparaît.

Les photographies subissent aussi le cours du temps, j’ai ainsi voulu travailler la surexposition afin d’en affirmer ce caractère. Mélangeant ainsi plusieurs pensées : le corps qui apparaît puis qui disparaît ou inversement.

Mes modèles posent sur fond blanc, saturés par la lumière des éclairages, ils se confondent avec le fond. La délimitation s’efface entre le cadre et les lignes du corps. Chaque pose réalisée se fait debout, à l’image des pierres tombales, le corps se tend, se courbe, s’arrondit. Seul le torse et la tête y sont montrés. Les pierres ne sont qu’un bloc comme un rappel du tronc de l’être humain. A travers ces photographies on peut s’imaginer y voir une naissance.

Dans ces photographies les corps sont nus, plus de masque, de costume ou d’artifice. Qui est l’autre ? Que dit-il à travers ce corps sous tension ? Le lieu n’existe plus, ils sont perdus dans une infinité où l’intemporalité règne, comme si ces corps ne pouvaient plus vieillir. Ils restent fixés sur le papier. Le temps ne peut plus les toucher, l’effacement est créé par la prise de vue surexposée. Même si la matière chimique s’efface et fait disparaître des traits, ils continueront d’apparaître à l’inverse.

La photographie donne à voir sa propre réalité. Elle vacille entre vérité et imaginaire, chacun peut se reconnaître et réécrire l’histoire. Elle est le lien avec la réalité transformée par l’imaginaire. Elle montre la vie mais pas la vérité. Entre lumière et obscurité, elle imprime l’esprit et la matière. Elle permet de garder une trace, une mémoire individuelle ou collective tel un état des lieux, elle fixe le moment vécu. Sans narration écrite, elle laisse une porte ouverte à un imaginaire, celui que l’on veut y voir. Mais cette trace reste fragile. La photographie présente des couples inséparables : la mémoire et l’oubli, l’apparition et la disparition, l’imaginaire et la réalité. Elle est art du double.

Elle fait partie des outils de mémoire, cette mémoire qui est la profondeur de l’homme.