Les lieux, les autres sont pour moi et dans mon travail une trame, une inspiration.
Je construis puis déconstruis l’histoire pour en récréer une autre ou plusieurs autres. Je ne cherche pas à décrire une vérité à l’inverse des photographies de reportage, je ne montre pas pour dénoncer, pour rendre compte d’une réalité.
Mes photographies ne cherchent à rendre compte que de moment fantasmé, irréel, pourtant quand je décide de travailler sur un lieu, je m’intéresse à son histoire, ce qu’il s’est passé à cet endroit, et cela peut me servir de trame en fonction du propos que je veux faire ressortir. L’image alors créée, se compose et offre une autre réalité au lieu.
Réécrire l’histoire, une histoire, l’art de la mise en scène
La nuit, moment où les angoisses, les frayeurs ressortent, faire des prises de vue, s’est révélé être une nécessité dans mon cheminement artistique. La vision nocturne
des lieux leur confère un caractère plus menaçant. J’y crée des mises en scène oniriques aux personnages chimériques. Tous les personnages utilisés pour mes mises en scène sont en général masqués.
J’utilise aussi certaines figures majestueuses et inquiétantes telles que le cheval, lié à la mort, des visages grimaçants …
Le masque peut avoir un lien symbolique avec la mort. Il n’a qu’une expression, il ne changera pas avec le temps, ne vieillira pas, il gardera à jamais son caractère intemporel. Dans mes photographies, le masque détourne la réalité, il change le visage des personnes qui l’habite, ils ne sont plus reconnaissables. Plus rien alors de leur intérieur, ne peut parler ou montrer des émotions. Il n’y a plus de notion d’affect. Une autre histoire est alors créée, inventée de toute pièce. Les choix du lieu, des costumes, de la pose mettent en place un récit qui a pu ou non exister.
La réalité d’un lieu mélangée aux personnages énigmatiques, parfois irréels, constitue la mise en scène pour raconter une histoire, celle que l’on a envie d’y voir. Elle ne peut être la même pour tous, car elle fait appel à ses propres références, à sa culture et à ses affects.
Que l’on aime ou pas, que cela soit beau ou laid, cela n’a aucune importance, c’est la liberté d’y voir ce que l’on souhaite ou non qui m’intéresse. Le fantasme se passe, se repasse, se transforme au gré de l’imaginaire du spectateur.
Les visages dissimulés me permettent de ne donner à voir que ce que je souhaite,
une expression figée, ce que ne permet pas un visage démasqué aussi peu expressif soit-il.
La vie nocturne m’a fait percevoir le caractère énigmatique de certains lieux qui se sont alors révélés à moi. J’ai repensé alors au travail de Brassaï, Paris de nuit, que je connaissais depuis l’adolescence.
J’ai travaillé de nombreuses années uniquement en noir et blanc, je recherchais cette intensité que Brassaï avait donné à ces photographies, ce grain, ces contrastes forts qui faisaient ressortir les lieux, les personnages.
Le travail de la couleur est finalement venu par mes promenades nocturnes. Les lumières artificielles offrent un éclairage « théâtral » sur des gammes de jaunes, d’orange,
de vert ou de bleu. Je ne travaille jamais avec un flash en extérieur, les temps de pose sont longs, et grâce à cela je perçois l’intensité lumineuse que je souhaite avoir sur mes clichés, plus sombres ou plus lumineux, plus énigmatiques, plus colorés. Je n’utilise aucun filtre et je ne retravaille que très peu ces photographies. Le temps de la prise de vue est un moment entre moi, l’appareil photo, le lieu, le modèle et la mise en scène.
L’interaction avec le public est importante dans mon travail. Travailler de nuit, dans les rues d’une ville ou à la campagne perdue au milieu de rien, me font rencontrer des personnes, me font vivre d’autres histoires, autour d’une mise en scène qui change leur passage quotidien dans certaines rues. Certains passent et ignorent ce qui se passe, d’autres restent et s’interrogent.
Le moment de la prise de vue et l’interaction avec les passants, m’ont permis de me questionner sur l’acte photographique en lui-même.